jeudi 14 août 2008

Personne n’a vu le temps

Sonja Danowski, la gagnante du Young Illustrator Award 2007, nous parle de l'illustration, de l'art du livre et toute autre forme d'art similaire.



Salut Sonja! Tout va bien à Regensburg?

Oui, salutations depuis la Bavière. Comment ça va à Berlin?

Tout va bien! Je m'interroge sur le dernier livre que tu nous as envoyé... Un format de 30 x 50 cm! Pourquoi donc un livre si grand et si complexe? Ton leitmotiv n'est surement pas vénal....

Des livres complexes prennent beaucoup de temps et c'est précisément cela qui rend les livres fascinants. Je n’avais pas l'impression de devoir me prendre du temps pour mes projets, je l'ai simplement investi dans le livre. Et c'est pas mal investi: Un livre et les images qui y sont contenues restent pour moi et pour les autres.

Beaucoup disent que l'art du livre soit mort. Il n'est presque plus enseigné dans les universités. À ton avis, est-ce qu'il vaut la peine de garder le médium du livre artistique "en vie"?

Les livres laissent beaucoup d'espace. Regardées de plus près, les pages imprimées forment des images de la pensée tridimensionnelle. Ceci a du sens. Selon moi, l'art du livre commence là où se trouve ou se crée quelque chose à l'intérieur. Le lecteur observant ou l'observateur lisant participe à la partie interne d'un livre artistique et ses pensées sont partiellement libérées des liens statiques.

En quoi l'art du livre peut-elle évoluer? Nous vivons dans l'année 2008 et non pas aux temps d'Henry van de Veldes qui n'a pas seulement - si je me souviens bien - inventé l'Art nouveau, mais qui a également révolutionné l'art de la reliure...

Même si beaucoup a déjà été fait concernant l'évolution formelle, comme la reliure, encore beaucoup peut être crée dans le domaine du contenu. Je vois le futur du livre (le livre en tant qu'objet artistique!) dans l'élargissement et la dynamisation de l'espace. Les illustrations sont plus généreuses que les textes, elles peuvent être lues d'en bas en haut, de gauche à droite, du centre vers l'extérieur, ainsi que comme des images isolées ou des séries d'images. La perception n'est pas définie chronologiquement et ceci donne une dynamique particulière à l'ensemble.



En fin de compte, l'évolution formelle ne joue plus de grand rôle?

Non, et ceci n'est pas non plus déterminant. Selon moi, ce n’est pas le médium qui est responsable de l'évolution, mais le contenu. Les médias sont des supports de données qui offrent un volume spécifique pour le sauvetage de contenus. Un livre n'est jamais seul, il est formé par les médias du texte et de l'image. Les textes à leur tour contiennent des lettres et les images sont composées par la forme et la couleur. Par conséquent, ces couches multiples provoquent des possibilités de combinaison innombrables.

Ce sont précisément ces combinaisons qui sont importantes dans l'art du livre. Suivant la relation entre les médias se créent toujours des nouveaux résultats. Les illustrations sont classiques et le médium en soi n'est pas nouveau, mais ceci ne vaut pas pour les sujets, les caractères et les lieux, ni pour les couleurs et les structures. Parfois nous retrouvons des nouvelles voies dans des sujets et des mots de tous les jours que nous ne considérant ons plus parce qu'ils semblent naturellement présents.

Dans beaucoup de points, la forme du livre ressemble à notre perception du présent, le passé disparaît et reste dans les pensées quand nous tournons la page et le futur reste caché dans les pages suivantes. En outre, un livre peu être ouvert à n'importe quel page et à n'importe quel temps, le livre est une archive toujours présente.

Ici se trouve l'importance des contenus. Ce qu'on lit ou l’on regarde nous influence aussi en dehors du livre. Ce n’est peut-être rien de nouveau, mais toujours innovateur, parce que cela élargit le point de vue.



Dans ton livre actuel "Nebelnudeln" (pâtes dans le brouillard), que j'ai devant moi, tu développes á partir du portrait d'un homme âgé une observation sur le temps. Ou mieux une perception du temps.

Mon livre "Nebelnudeln" montre des aspects de la collection d'un archiviste analogue - Ernesto. Ernesto est un marchand de légumes et de fruits sympathique d'origine italienne. Ernesto aime beaucoup de choses, particulièrement les vitrines, la glace italienne, les clients qui mangent de la nourriture crue, le temps des escargots, les chiens et les pâtes.

Ernesto possède une qualité particulière, il est archiviste et class les choses coexistantes infiniment. En premier abord cela peut sembler ennuyeux, mais Ernesto sait bien combiner et il est un bon réalisateur ou mieux un bon accessoiriste.


Et avec ça il restructure sa perception du temps?

Étant donné que la mémoire humaine range les souvenirs de façon chronologique, il n'est pas étonnant que les éléments soient surmontés par des impressions plus récentes et perdent avec le temps leur présence et leur importance.



Au contraire, chez Ernesto il s'agit de systèmes d'arrangement analogues qui possèdent un caractère dynamique. Une fois que les objets sont archivés, ils sont libres de leur lien temporel et deviennent des éléments mobiles toujours présents qui peuvent êtres combinés et utilisés à tout moment.



Dans ce contexte, le dessin possède des avantages déterminants face au texte littéraire ou a photographie, n'est-ce pas?

C'est sûr. Les dessins ont une structure analogue et ils me permettent de combiner les objets n'importe comment et ils acceptent tous les éléments. Les mondes dessinés ne sont pas liés au temps et sont en même temps toujours présents. Les illustrations ne prétendent pas de correspondre à la réalité (comme la photographie), mais elles peuvent quand même sembler réelles. Dès que je trouve une combinaison d’objets intéressante j'essaye de remplacer des éléments isolés par des éléments similaires et analogues. J'ai par exemple remplacé des oiseaux par des chats, des dames par des messieurs, des hommes par les cheveux blancs avec des chiens ou des pommes par des choux.

La perception chronologique défini les objets isolés par leur relation avec les autres. Ensemble appartient ce qui est perçu ensemble. La séquence et les points d'ancrage sont statiques et créent une hiérarchie entre les images clés définies temporellement. La perception qui n'est pas chronologique donne a chaque importance la même importance, les éléments sont définis par leur isolement et ils deviennent libres dans l'espace et ne disparaissent pas avec le temps.

Les structures analogues ne sont pas soumises à une hiérarchie chronologique. Dans ma sélection des sujets et des textes, je ne me suis pas servi de modèles stricts. Au contraire, je me laisse guider par les objets qui apparaissent et je laisse ouvertes toutes les possibilités pour la continuation des images et du texte. Le résultat est une collection illustrée d’objets avec 289 dessins coloriés à l'aquarelle. Chaque image possède une légende et le tout est archivé dans un livre de grand format.

Retournant au livre illustré: Selon toi, en quoi est le livre illustré quelque chose de particulier?

Les illustrations accompagnent les textes sans engagement et enrichissent les livres d'un nouveau niveau de perception. Des séries d'illustrations transportent des actions atmosphériques et ils montrent des caractères et des lieux, qui correspondent ou ne correspondent pas à la propre imagination. De plus, elles élargissent la force de l'imagination. Les
différentes niveaux de d'image et de textes peuvent être parallèles entre eux, mais ne doivent pourtant se rivaliser.



C'est comme ça aussi dans les BD.

Dans une BD, le texte et l'image se trouvent sur le même niveau, un niveau plein de texte, et le lien est plus engageant. Dans les films c'est similaire, le ton est intégré dans la scène. L'image isolée ne bouge qu à l'intérieur sone cadre et ne peut être interprété à gauche ou à droite que de façon restreinte vu qu'il n'a pas de point d'ancrage.

Le bris de la séquence, de la tendance et de la chronologie est le sujet dans "Nebelnudeln". Le contenu et la forme de la représentation semblent se correspondre. Est-ce que tu considères le lien temporel comme un problème actuel qui nous influence trop?

Oui, je trouve que nous surévaluons le temps. Personne n'a jamais vu le temps, mais tout le monde semble avoir une image d'elle. Le temps est dans notre société un système d'orientation qui s'impose et tout le monde y participe consciemment ou inconsciemment. Pour cette raison, le sujet du temps ne se laisse traiter que superficiellement. Nous devons peut-être considérer le temps de façon similaire au livre, comme un médium, qui donne la possibilité de ranger une somme d´innombrables impressions. Les chapitres et les pages, ainsi que les années et les jours, créent un ordre formel, mais la façon de considérer le contenu reste ouverte.

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